La guerre des herbicides : que se passera-t-il si Bayer abandonne l'herbicide glyphosate ?
19 Juillet 2025
Andrew Porterfield, Jon Entine, Genetic Literacy Project
Les jours du glyphosate sont-ils comptés ?
C'est de loin l'herbicide le plus populaire au monde. Depuis son introduction dans les années 1970, le glyphosate est devenu l'herbicide le plus important pour les agriculteurs, loué pour son efficacité et ses capacités de désherbage à large spectre. Il répond à de nombreuses exigences agricoles et réglementaires : il est efficace, relativement peu coûteux, il augmente le rendement des cultures et il est sans danger pour l'homme ainsi que pour les plantes conçues pour éviter ses fonctions herbicides.
Environ 90 entreprises chimiques dans le monde le produisent, dont plus de 50 en Chine. Une entreprise domine toujours le marché avec une part de 40 % : Bayer, qui a racheté le détenteur du brevet original, Monsanto, en 2018, bien que le brevet de sa formule originale, connue sous le nom de Roundup, ait expiré en 2000.
Bien que la communauté mondiale ait régulièrement conclu à l'unanimité que le glyphosate est sûr tel qu'il est utilisé [plus d'informations à ce sujet ci-dessous], il a fait l'objet d'attaques incessantes de la part de groupes d'activistes écologistes. En raison du système de responsabilité civile des États-Unis, qui s'apparente à un casino, Bayer a versé plus de 11 milliards de dollars à ce jour, auxquels s'ajoutent 1,2 milliard de dollars pour d'éventuels verdicts défavorables ou règlements à l'avenir.
Ces problèmes juridiques – avec 67.000 actions en justice en cours, il n'y a pas de fin à ses défis judiciaires – ont conduit Bayer à envisager de cesser la production de Roundup à moins qu'elle ne reçoive des protections juridiques contre les litiges futurs. Bayer a récemment informé les agriculteurs, les fournisseurs et les détaillants qu'elle pourrait cesser de vendre le Roundup, ce qui rendrait les agriculteurs américains dépendants du glyphosate importé de Chine.
« Nous sommes pratiquement au bout du rouleau », a déclaré M. Bill Anderson, directeur général de Bayer, lors d'une interview. « Nous parlons de mois, pas d'années. »
Qu'est-ce qui pourrait le remplacer si Bayer le débranche ?
Le cas de la « super mauvaise herbe » contre le glyphosate
Le glyphosate fait l'objet d'attaques de la part des militants écologistes depuis plus de quinze ans. À l'origine, les critiques portaient sur son rôle supposé de créateur de super mauvaises herbes. Le glyphosate n'est toutefois pas le seul à être dans ce cas. Le premier herbicide de synthèse, l'acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4-D), a été introduit dans les années 1940. Il était principalement utilisé pour lutter contre les mauvaises herbes dans les céréales. Une dizaine d'années plus tard, en 1956, les premiers signes de résistance des mauvaises herbes (Daucus carota, ou « dentelle de la reine Anne ») ont été signalés au Canada.
Cependant, l'utilisation intensive et parfois indiscriminée du glyphosate a entraîné des défis agronomiques importants : le développement de mauvaises herbes résistantes au glyphosate. La première mauvaise herbe résistante au glyphosate a été signalée en Australie en 1996. Peu de temps après, des ray-grass résistants ont été découverts dans un verger de Nouvelle-Galles du Sud.
Le glyphosate cible l'enzyme 5-enolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS), qui est essentielle à la synthèse des acides aminés aromatiques dans les plantes. En inhibant cette enzyme, le glyphosate tue efficacement un large éventail d'espèces de mauvaises herbes. Toutefois, à la suite d'une utilisation répétée, certaines populations de mauvaises herbes, telles que l'amarante de Palmer, ont développé une résistance.
L'utilisation accrue du glyphosate liée aux cultures GM résistantes à l'herbicide s'est progressivement imposée comme un moyen utilisé par les groupes de pression pour dresser le public contre la révolution biotechnologique des cultures. Lorsque certains agriculteurs n'ont pas procédé à la rotation des herbicides dans le cadre d'un programme de gestion intégrée des mauvaises herbes, les activistes ont déclenché une tempête face à l'escalade des problèmes de mauvaises herbes.
Mais comme l'a fait remarquer le département AgBioResearch de l'Université de l'État du Michigan, la résistance des mauvaises herbes n'est pas l'apanage du glyphosate ; l'utilisation exclusive de presque n'importe quel herbicide peut entraîner l'apparition de mauvaises herbes résistantes à cet herbicide.
Les nouvelles difficultés rencontrées par l'agriculture moderne en matière de mauvaises herbes, de ravageurs et de biodiversité ne découlent pas directement de l'utilisation de cultures GM, mais plutôt du fait que l'on considère les caractéristiques des cultures comme une solution définitive aux problèmes de lutte contre les mauvaises herbes et les ravageurs. Traiter les cultures GM comme un outil parmi d'autres dans un plan de gestion permettra de limiter la propagation des super mauvaises herbes et des ravageurs secondaires, ainsi que de préserver la biodiversité des paysages.
Les souches résistantes de mauvaises herbes ont continué à gagner du terrain sur le développement des herbicides, en partie grâce à l'énorme succès du glyphosate.
Aujourd'hui, d'autres mauvaises herbes résistantes au glyphosate ont été recensées, notamment dans les exploitations qui cultivent du soja « Roundup-Ready ». Selon un rapport de l'Université d'État de l'Iowa, il s'agit notamment
de l'ivraie rigide dans un système de production de blé en Australie et en Californie
du ray-grass italien au Chili
du chiendent en Malaisie
du chiendent (marestail) dans l'est, le centre-ouest et le sud-est des États-Unis.
L'Université de l'État de l'Iowa a noté que les mécanismes biochimiques de toutes ces espèces, à l'exception du chiendent, restent inconnus. Aujourd'hui, selon l'International Herbicide-Resistance Weed Database, plus de 50 espèces de mauvaises herbes sont résistantes au glyphosate.
La résistance des mauvaises herbes n'est pas propre au glyphosate ou aux cultures génétiquement modifiées ; il s'agit d'un problème agronomique très répandu qui affecte presque toutes les formes de lutte contre les mauvaises herbes. Par exemple, la résistance aux herbicides à base de triazine comme l'atrazine a été documentée dans l'amarante et le chénopode, même dans les systèmes de maïs et de sorgho non GM, cultivés de manière conventionnelle. La résistance au 2,4-D est apparue chez plusieurs dicotylédones telles que l'amarante tuberculée et le radis sauvage dans les cultures céréalières.
Dans l'agriculture biologique, qui fait largement appel au désherbage mécanique et aux herbicides naturels comme le vinaigre (acide acétique) [aux États-Unis], la résistance des mauvaises herbes est moins liée aux produits chimiques, mais reste un problème croissant en raison de l'adaptation des mauvaises herbes au travail répétitif du sol et au travail du sol superficiel. Certaines mauvaises herbes, comme le liseron et le souchet, prospèrent dans les systèmes biologiques parce qu'elles peuvent se régénérer à partir de structures souterraines difficiles à éradiquer sans herbicides systémiques.
La leçon est claire : la résistance des mauvaises herbes est une évolution inévitable dans tous les systèmes agricoles lorsque les méthodes de contrôle ne sont pas diversifiées.
Des alternatives efficaces au glyphosate ?
La méconnaissance des mécanismes de résistance est l'un des nombreux facteurs qui rendent difficile le développement d'herbicides. Pour échapper à la résistance (ou du moins la retarder), un nouvel herbicide a besoin d'un nouveau mécanisme d'action. Or, au cours des 40 dernières années, un seul herbicide doté d'un nouveau mécanisme a été mis sur le marché.
Un article publié en 2012 par Steve Duke, de l'Université du Mississippi, montre que les brevets américains pour de nouveaux herbicides étaient au nombre de 432 en 1997. En 2009, ce nombre est tombé à 65. Une partie de ce déclin a été attribuée à la popularité du glyphosate – pourquoi rivaliser avec le succès ?
Le coût et le temps nécessaires au développement d'un nouveau produit constituent un autre défi. Actuellement, la mise au point d'un nouveau produit chimique agricole nécessite l'examen de 100.000 composés, un processus qui coûte plus de 200 millions de dollars et qui peut durer de 8 à 10 ans.
Il n'existe actuellement aucune alternative viable au glyphosate. Pour cela, les scientifiques doivent identifier de nouveaux modes d'action. Selon l'Herbicide Resistance Action Committee, il existe 25 modes d'action herbicides, qui impliquent généralement l'inactivation directe d'une enzyme essentielle à la croissance et/ou à la fonction d'une plante. Il s'agit notamment d'inhibiteurs d'acides nucléiques, d'inhibiteurs de l'assemblage interne des microtubules ou d'inhibiteurs de la synthèse des acides gras, par exemple. Malheureusement, seul un nouveau mode d'action a été découvert depuis 1984.
La révolution omique
L'espoir est de pouvoir développer à terme de nouveaux herbicides aussi efficaces. Le domaine de la « multiomique », qui connaît une croissance rapide, offre un certain espoir. Ce domaine de recherche comprend des lignes de découverte familières en génomique et en protéomique, mais implique également un large éventail de fonctions cellulaires, y compris la « transcriptomique » (l'étude de l'ARNm) et la « métamique » (les molécules impliquées dans la production et la consommation d'énergie cellulaire). Ces domaines « omiques » (qui sont difficiles à définir, et de nombreux autres « omiques » apparaissent tous les mois), déjà utilisés dans le développement pharmaceutique, pourraient déboucher sur de nouveaux modes d'action uniques pour les herbicides afin de lutter contre la résistance.
Une telle approche « multiomique » pourrait diversifier les modes d'action des herbicides et satisfaire plus facilement aux autres exigences d'un nouveau produit chimique agricole, à savoir qu'il soit sûr et relativement facile à utiliser, qu'il ne nuise pas à l'environnement et qu'il soit rentable.
L'un des problèmes posés par le développement des herbicides traditionnels est leur mode d'action unique, qui consiste à réagir à la « résistance basée sur le site cible », ou TSR (target-site based resistance). Ce type de résistance implique une mutation ponctuelle, une délétion d'un codon unique ou une surexpression du gène cible. La mise au point d'un produit chimique pour contrer ces événements singuliers peut s'avérer efficace dans un premier temps, mais finit par être victime de la résistance.
Une résistance plus puissante provient de ce que l'on appelle la « résistance non basée sur un site ciblé » (NTSR – non-target-site based resistance), qui implique des changements dans le métabolisme, une absorption réduite de l'herbicide et une capacité à s'adapter aux radicaux d'oxygène (souvent utilisés pour tuer les plantes).
Les technologies modernes à haut débit fondées sur les différentes « omiques » pourraient nous aider à comprendre la complexité des mauvaises herbes résistantes et donc à développer de nouveaux modes d'action. Et comme ces modes sont plus intégrés, il est plus difficile pour les mauvaises herbes de développer une résistance. Mais la génomique ne suffira pas à développer de nouveaux modes d'action. Par exemple, l'expression des gènes peut rester constante, alors que les niveaux de métabolisme peuvent varier considérablement dans le même temps.
Une équipe de chercheurs tchèques a récemment publié une étude dans Frontiers in Plant Science, admettant que « des initiatives inadéquates ont été prises pour intégrer de multiples études basées sur l'omique afin d'élucider les mécanismes de résistance aux herbicides chez les mauvaises herbes importantes d'un point de vue économique ». Même dans leur revue, ils ont limité leur recherche à la transcriptomique et à la métabolique. « Des analyses génomiques à haute résolution des plantes adventices seront nécessaires à l'avenir », ajoutent-ils.
Bien qu'aucun herbicide n'égale l'efficacité à large spectre et la rentabilité du glyphosate, plusieurs alternatives et approches intégrées peuvent s'y substituer, sans toutefois en avoir l'efficacité ou le profil de sécurité. Le glusofinate, le dicamba, le 2,4-D et le paraquat ne peuvent pas remplacer le glyphosate.
Alors que le développement des fongicides et des insecticides a également pris du retard au cours des dernières décennies, les herbicides présentent un défi encore plus unique et redoutable, exigeant des solutions à la complexité des plantes. Les plantes ont développé des défenses chimiques très complexes (y compris la résistance à d'autres produits chimiques) pour une très bonne raison : elles ne peuvent ni fuir, ni se cacher.
Analyse du glyphosate
Existe-t-il des alternatives non chimiques ? Le désherbage mécanique fonctionne, mais il est très inefficace. L'intérêt des cultures de couverture et des contrôles biologiques est limité. La seule stratégie efficace, aujourd'hui et dans un avenir prévisible, est la lutte intégrée contre les mauvaises herbes. Et cela nécessite le meilleur et le plus sûr des pesticides disponibles : le glyphosate.
La triste ironie est qu'une faction importante du mouvement environnemental, au mépris du consensus scientifique, reste fermement opposée à tous les produits chimiques agricoles, y compris le glyphosate. La chimiophobie fait partie de notre culture depuis des décennies, mais elle s'est accélérée après une évaluation contestée du glyphosate publiée en 2015 par le controversé Centre International de Recherche sur le Cancer, qui évalue ce que l'on appelle un « danger ». Le Centre a fondé ses conclusions sur trois douzaines d'études sur plus de trois mille disponibles, concluant que le glyphosate était un cancérogène possible pour les applicateurs ; il n'a pas affirmé que les microtraces dans les aliments présentaient un danger connu.
On peut affirmer sans risque qu'aucune agence indépendante de surveillance des produits chimiques ou de réglementation des risques, après avoir examiné des centaines, voire des milliers d'études, n'est d'accord avec cette évaluation. « Aucun organisme de réglementation des pesticides dans le monde ne considère actuellement que le glyphosate présente un risque de cancer pour les humains, compte tenu des concentrations auxquelles ces derniers sont exposés », a écrit Santé Canada dans son évaluation de 2019, une conclusion qui reste valable aujourd'hui. Le consensus mondial est illustré dans cette infographie. [Cliquez ici pour une version pdf téléchargeable.]
Les 19 agences de réglementation et de recherche – toutes indépendantes – y compris le rapport 2023 de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, ont conclu à l'unanimité qu'il n'existe aucune preuve convaincante que le glyphosate puisse être lié au cancer. L'EFSA « n'a pas identifié de domaines critiques de préoccupation ». Le consensus est plus universel que la conviction que l'homme est un facteur déterminant du changement climatique.
Le glyphosate n'est pas seulement l'herbicide le plus populaire au monde, c'est aussi le plus efficace. C'est de loin l'herbicide le plus étudié, avec une empreinte environnementale relativement faible par traitement. Les herbicides biologiques sont perçus comme plus sûrs, mais ils sont moins efficaces dans la réalité, nécessitent des applications fréquentes et ont souvent des coûts environnementaux indirects plus élevés en raison de l'énergie et de la main-d'œuvre qu'ils nécessitent.
Malgré les débats et les litiges en cours, aucune alternative actuellement disponible n'égale la combinaison unique d'efficacité à large spectre du glyphosate, de faibles taux d'application et d'un profil de sécurité minutieusement étudié. Les herbicides biologiques et les herbicides dits « naturels » sont moins efficaces, nécessitent des applications plus fréquentes et ne font pas l'objet d'un contrôle réglementaire rigoureux. Le désherbage mécanique et les cultures de couverture peuvent compléter la lutte contre les mauvaises herbes dans certains systèmes, mais ne sont ni extensibles ni durables pour la production alimentaire mondiale. Le glyphosate reste l'outil le plus pratique, le plus scientifiquement validé et le plus respectueux de l'environnement. Son élimination n'améliorerait pas la sécurité ou la durabilité, mais ferait plutôt grimper les coûts, augmenterait les émissions de carbone et obligerait à recourir à des alternatives moins efficaces ou moins bien comprises.
https://seppi.over-blog.com/2025/07/la- ... osate.html